Vous avez dénoncé la folie de l’évaluation qui envahit tout. Avez-vous le sentiment qu’elle recule?
Non, elle ne fait que s’accroître. Il s’agit dans tous les cas
d’inciter par tous les moyens matériels et symboliques à ce que les
professionnels du soin, de l’éducation, de la recherche, du travail
social, de la justice, de la police, de l’information, de la culture, ne
puissent pas penser leurs actes autrement que sur le modèle de la
marchandise, du produit financier et des services tarifés. Cette
injonction à devoir concevoir les actes professionnels sur le seul
modèle de la pensée néolibérale, de ses catégories symboliques et
matérielles, participe à une véritable civilisation des mœurs au sein de
laquelle l’humain se réduit à un «capital», un stock de ressources qui à
l’instar de la nature doit être exploitée à l’infini.
Cette normalisation des pratiques propres aux sociétés de contrôle et
de défiance d’allure démocratique, tend à transformer les
professionnels en outils d’un pouvoir politique qui traite l’humain en
instrument, en «segment technique» comme disait Jaurès. Cette
civilisation des mœurs n’est pas propre à la France. Pour moi loin de
reculer le champ de l’évaluation ne peut que s’étendre tant que les
professionnels ne se donneront pas davantage les moyens de s’en
émanciper.